Le JDD.fr – « Coup de théâtre dans la gouvernance de l’Internet »

Le JDD.fr – « Coup de théâtre dans la gouvernance de l’Internet »

TRIBUNE dans le JDD.fr  Nathalie Chiche, rapporteure de l’étude « Internet : pour une gouvernance ouverte et équitable » du Conseil économique, social et environnemental (CESE), explique la décision prise vendredi par le Département du Commerce américain au sujet de l’Icann.

Le Département du Commerce américain a pris vendredi par surprise toute la communauté d’internet : il a annoncé, via un communiqué, son intention de faciliter la transition de la gouvernance de l’Internet, et donc transférer les pouvoirs de l’Icann à une organisation internationale dont les formes juridiques et le lieu restent à déterminer.

Quelle mouche l’a piqué ?

Pourquoi maintenant alors que l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) réclame son émancipation depuis longtemps ?

Ainsi, les États-Unis renonceraient subitement aux fonctions de l’Icann et de sa composante l’IANA (Internet Assigned Numbers Authority), qui gère les adresses de connexion à Internet (adresses IP) et les noms de domaines (.org, .com, …) au niveau mondial !

Sans doute que la pression internationale était devenue trop forte depuis les révélations d’Edward Snowden sur l’espionnage massif de la NSA.

L’Icann faisait depuis quelques temps une pression intense sur son encombrant tuteur, le Département du Commerce américain, en se rapprochant du Brésil, devenu fédérateur de cette émancipation nécessaire, au lendemain de la déclaration de Montévidéo.

Les instances mondiales techniques en octobre dernier avaient clairement désavoué la mainmise américaine sur les institutions qui définissent les règles d’internet et les appliquent à leur avantage.

Difficile sur Internet de séparer l’aspect technique et politique !

Son président Fadi Chehadé avait clairement annoncé lors de son audition au Sénat en février dernier, sa volonté d’émanciper de la tutelle américaine avec l’accord de son conseil d’administration vers une internationalisation de l’Icann.

Avait-il le choix ?

Mark Zuckerberg ne se gêne plus pour déclarer que son gouvernement est une menace pour Internet !

Les révélations d’Edward Snowden ont ébranlé la confiance des utilisateurs, des acteurs économiques et des gouvernements du monde entier vis-à-vis du gouvernement américain, garant de la sécurité du réseau internet.

L’option d’internationalisation ne date pas d’hier.

En novembre 2012 à Dubaï, cette question de gouvernance mondiale d’internet avait déjà fait l’objet d’un affrontement violent entre les pays émergents d’une part et les pays occidentaux d’autre part qui souhaitaient une structure gérée par l’UIT (Union Internationales des Télécommunications), rattaché à l’ONU.

L’Europe était apparue très divisée et la France s’était fait tapée sur les doigts pour se rallier aux Etats-Unis.

La question d’une Gouvernance mondiale d’Internet est à nouveau à l’ordre du jour mais les révélations sur la NSA ont changé le rapport de force que les États-Unis ont toujours exercé, convaincus qu’Internet leur appartient.

Le Brésil (et sa présidente Dilma Roussef) a repris la main et organise le mois prochain une réunion à Sao Paulo en avril prochain en invitant toutes les parties prenantes à réfléchir sur l’évolution de la gouvernance mondiale d’Internet.

Cette annonce du Département américain a pris tout le monde de court, notamment les gouvernements qui ont déjà envoyé leur contribution.

On le sait les tensions politiques internationales se sont déplacées sur les réseaux.

Qui aura le dernier mot ? La partie de poker a commencé…

 

Nathalie Chiche, rapporteure d’une étude du CESE sur « Internet : pour une gouvernance ouverte et équitable »