le JDD.fr – « Neutralité du web : un frein pour avoir (enfin) un champion numérique français? »

le JDD.fr – « Neutralité du web : un frein pour avoir (enfin) un champion numérique français? »

TRIBUNE dans le JDD  – Nathalie Chiche, présidente de Data Expert, revient sur l’abrogation de la neutralité du web aux Etats-Unis jeudi. Pour elle, la 5G sera le premier réseau mobile non-neutre.

 

La neutralité d’internet est un des principes fondateurs de l’Internet car il repose sur son architecture originale. Dès le départ, Internet a été conçu pour être décentralisé, fiable, et ayant recours à un langage commun.

La neutralité, un enjeu de la gouvernance d’internet

Pour les non-spécialistes, Internet peut être représenté sous la forme d’une superposition de trois couches indépendantes, qui remplissent chacune une fonction différente. Cette distinction présente l’avantage de faciliter la compréhension des enjeux de la gouvernance d’internet qui révèlent d’une pluralité des acteurs et des problématiques dont celle de la neutralité.

  • la première couche est celle des infrastructures physiques (câbles sous-marins, fibre optique, …) qui permet le transport de l’information ;
  • la deuxième couche, la couche « logique », comprend les normes, langages communs, indispensable à une « interopérabilité » qui fait la cohérence et l’unicité du réseau ;
  • la troisième couche correspond aux contenus numériques produits et échangés sur internet.

En lui-même, l’internet est neutre

L’étanchéité entre ces différentes couches a pour effet de séparer les fonctions de transport et de traitement des informations (contenus). De fait, chaque entité connectée est placée sur un pied d’égalité. Car en lui-même, l’internet est neutre : il se contente de transporter les informations et les applications sans les modifier ! Cette neutralité est essentielle car elle explique la solidité et le succès d’internet ! Mais également la difficulté de la gouvernance de l’internet ou chaque intervenant doit théoriquement peser du même poids !

Le mobile comme nouvelle norme

Depuis 2016, c’est l’internet mobile qui est devenu la norme dans le monde. L’essor de la future la 5G ouvre un nouveau champ à l’expansion des usages de l’internet ce qui déclenche une discorde entre intervenants sur le réseau.

  • D’un côté, les opérateurs télécoms et fournisseurs d’accès à l’internet – les FAI- qui acheminent des données toujours plus volumineuses avec les innovations (IoT, IA, …) ; ils mettent l’accent sur la saturation de leurs infrastructures existantes, qui les obligent à prévoir une extension des infrastructures qui nécessitent de très lourds investissements comme la 5G.
  • De l’autre, les fournisseurs de contenus et d’applications, qui invoquent la nécessité de préserver la neutralité du net au nom des grands principes (rejoints par les associations de défense d’un internet « libre ») ; leur démarche est de conserver leurs positions financières et commerciales.

 

Des nouvelles infrastructures et investissements

Ce débat n’est évidemment pas nouveau (Litige entre Free et Google) et pose à nouveau la question « qui paie quoi ? » pour chaque intervenant :

  • Est-ce aux opérateurs (comme Orange) d’assumer l’intégralité des coûts d’acheminement du trafic vers les fournisseurs de services ?
  • Est-ce aux fournisseurs de contenus, les fameux « GAFA », qui sont de très gros consommateurs de bande passante, de mettre la main au portefeuille ?
  • Est-ce aux internautes d’en supporter pour partie le coût au travers d’une large gamme d’abonnements possibles et suivre l’exemple présent des FAI américains ?

 

Le premier réseau non-neutre

La question vient d’être tranchée par Stéphane Richard [PDG d’Orange], à la tête du plus important opérateur fixe et mobile de France qui admet que « la fin de la neutralité de l’internet est une obligation » et évoque dans un futur proche un internet à plusieurs vitesses…Même si le principe de neutralité est inscrit dans la loi Lemaire du 7 octobre 2016, force est de constater que le réseau 5G disponible en 2022 pourra s’adapter en fonction des besoins de chaque application; la 5G sera par nature le premier réseau mobile non-neutre. Ainsi, si nous voulons que notre fleuron Orange soit LE champion européen de la 5G (qui est en cours de standardisation), il faudra sans doute se résoudre à accepter que ce nouveau réseau mobile 5G sera difficilement compatible avec notre réglementation française et européenne…

 

 Par Nathalie Chiche, rapporteure d’une étude du CESE « Internet : pour une gouvernance ouverte et équitable », Data Protection Officer et présidente de Data Expert