Huffington Post.fr – Révision constitutionnelle : allons-nous vers une cyber-dictature en France? »

Huffington Post.fr – Révision constitutionnelle : allons-nous vers une cyber-dictature en France? »

Huffington Post.fr – Tribune « Révision constitutionnelle : allons-nous vers une cyber-dictature en France ? »

ÉTAT D’URGENCE – Les attentats de janvier et de novembre ont autorisé le gouvernement français à une surveillance massive de ses concitoyens, afin de lutter contre des terroristes, qui sont pour la plupart français.

 

Une surveillance massive de ses citoyens pour redevenir un État fort

En juin dernier, la révision de la Loi de programmation militaire (LPM) autorisant l’accès administratif aux données de connexion de tout internaute ET en novembre dernier, la mise en place d’un état d’urgence (qui risque d’être prolongé comme le prévoit le projet de réforme constitutionnelle), donnent à présent des moyens considérables à notre exécutif, à commencer un droit de regard sur notre vie privée.

En 2001, après les attentats du World Trade Center, le Congrès des États-Unis avait voté une loi « USA Patriot Act« , pour unir et renforcer l’Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme.

Une surveillance massive de ses citoyens pour redevenir un État fort.

Avec une dizaine d’années de retard, l’article 20 de la Loi de programmation militaire est une copie du Patriot Act car elle rend possible une surveillance massive sur le sol français de l’ensemble des informations et communications en temps réel, en dehors de tout contrôle judiciaire préalable et sur simple décision administrative.

La présomption de culpabilité remplace la présomption d’innocence

De fait, les principales démocraties du monde se sont transformées en États policiers numériques, la présomption de culpabilité remplaçant la présomption d’innocence…

Cet état de surveillance justifié par l’État français porte atteinte gravement à notre vie privée et à la préservation de nos libertés individuelles et nous rappelle un sombre passé par lequel les pays totalitaires se sont installés en Europe.

Un comble pour le pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen !

Certes, une surveillance ciblée est légitime quand elle est encadrée par l’autorité judiciaire, et souhaitable dans un État de droit si elle garantit la sécurité de ses citoyens.

A l’inverse, un gouvernement français qui commence à avoir peur de ses propres concitoyens qui se radicalisent (surtout dans les prisons françaises) et qui justifie une surveillance de masse ne peut en aucun cas respecter le principe de proportionnalité.

Ainsi, le pire serait de ne demander aucun compte à l’État français dans la gestion de notre sécurité ; Après tout, nous sommes encore en démocratie ?

C’est oublier qu’Internet est un outil d’émancipation dans les pays démocratiques surtout dans un contexte où s’exprime plus que jamais une défiance à l’égard des responsables politiques.

Plus nous nous connectons, plus nous renonçons à notre vie privée

Avec les révélations d’Edward Snowden en 2013, nous savons que nous n’avons plus de « privacy » et un espion dans notre poche, la faute au programme secret Bullrun de la NSA qui casse tous les systèmes de chiffrement de toutes les technologies commerciales de protection de données de communication. Nous voilà prévenus.

Nous vivons depuis trop longtemps dans une transparence absolue, nous n’avons plus de vie privée, plus nous nous connectons, plus nous renonçons à notre vie privée.

Face à cette situation, le Brésil a adopté une nouvelle constitution d’internet Marco civil da Internet afin de réguler la Toile et de protéger la vie privée et les libertés individuelles des citoyens brésiliens.

De son côté, la France tarde à apporter une réponse globale avec la loi de la République numérique à l’ambition atrophiée et toujours pas votée. Pourtant, il y a urgence.

Ces dispositifs, la loi de programmation militaire et l’état d’urgence, donnent de la France l’image d’une « dictature numérique » pour reprendre les propos de notre Digital Champion Gilles Babinet.

La France doit restaurer la confiance de ses citoyens-usagers au risque qu’ils se méfient à leur tour de leur État, avec pour sanction un État devenu faible.

L’Habeas Corpus Numérique dans la prochaine révision constitutionnelle

Pourquoi alors ne pas envisager dans la prochaine réforme constitutionnelle d’y ajouter une promesse de campagne du candidat Hollande « l’Habeas Corpus Numérique« , un projet de loi destiné à garantir la protection des données personnelles et la vie privée sur Internet ?

L' »Habeas Corpus Numérique » est une formule imaginée par François Zimeray, ancien ambassadeur de la République française pour les Droits de l’Homme.

Pour reprendre ses mots « elle consiste à transformer les Droits de l’Homme en droits, c’est-à-dire passer de l’idéal invoqué à la norme appliquée ».

La protection de notre vie privée est précieuse car elle symbolise avant tout un droit fondamental, le respect de notre intimité, de notre identité en tant qu’être humain, le SEUL espace dans lequel on n’est pas jugé, on peut être nous-même, nous faire confiance.

La protection de notre vie privée est une liberté plus fondamentale que les autres car elle permet l’exercice des autres libertés.

Prenons garde que notre souci sécuritaire prenne le pas sur notre liberté.

La France, en se dotant de ses nouveaux outils (Loi de programmation militaire et état d’urgence) peut basculer vers un régime beaucoup moins démocratique avec des valeurs nauséabondes comme lors des élections régionales.

Et ces outils pourront être utilisés légitimement par la suite par des gouvernements moins démocratiques s’ils venaient au pouvoir et automatiser des arrestations en masse ou un nouveau génocide.

A nous de nous définir en tant qu’être humain, reprendre le contrôle de la technologie, pour reprendre le contrôle de nos humanités ou se laisser contrôler par la machine.

 

Nathalie Chiche, rapporteure d’une étude du CESE sur « Internet : pour une gouvernance ouverte et équitable »